Quand Fabrice Gorgerat a créé sa Compagnie Jours Tranquilless en 1994, la quiétude n’était pas au programme. L’inspiration venait du titre d’un roman de Henry Miller qui décrivait sa vie sulfureuse à Clichy. Pour le metteur en scène vaudois, c’est aussi la volonté d’être dans l’ambiguïté de la réalité, de prendre la vie à bras-le-corps et de la porter telle quelle à la scène. Une palpitation omniprésente à travers des interprétations déjantées à l’extrême, rythmées par les pulsions d’une musique jouée live.
Dans ses créations organiques, où sous l’apparente mélancolie couve la braise, la narration n’existe pas. Préférant la sensation à l’identifiable, le pouvoir de l’évocation à l’explication de texte, Fabrice Gorgerat est à la recherche d’un langage qui parle au public autrement.
Une envie de toucher le spectateur par des flux d’énergies. De s’adresser autant à son corps qu’à son intellect pour qu’il ressente et comprenne de manière intuitive ce qui se passe devant lui. Qu’il se retrouve dans les états des personnages, jusqu’au point parfois, de les refuser ou de s’en emparer avec jubilation.
Auteur de «poèmes scénographiques», le metteur en scène compte bien en offrir quelques-uns de son meilleur cru au public du Festival de la Cité. Il convie les spectateurs à une ballade sur les traces d’Emma Bovary de Payerne, héroïne empoissée dans la léthargie d’une petite ville. Un kaléidoscope de sensations émerge du travail effectué avec trois interprètes (Fiamma Camesi, Anabel Labrador, Dominique Godderis), une plasticienne-scénographe (Estelle Rullier) et un musicien, bidouilleur de sons (Aurélien Chouzenoux).
«Ma famille est originaire de Payerne. Je voulais depuis longtemps y créer quelque chose, raconte Fabrice Gorgerat. C’est devenu une sorte de road movie théâtral à la recherche de l’incarnation d’une Emma contemporaine. On a tous en nous quelque chose de l’héroïne de Flaubert. Un sentiment de déliquescence, sublimé d’une rageuse envie de vivre.»